Par la rédaction d’Éco Quartier Ginko
Architecte de formation, passionné par la transition écologique, Julien Vernes est devenu en quelques années une voix qui compte dans les débats autour de l’habitat durable et de l’aménagement du territoire. À travers ses projets, ses conférences et ses ouvrages, il milite pour une architecture plus responsable, au service du vivant. Nous l’avons rencontré pour évoquer avec lui l’évolution des villes, le rôle des écoquartiers comme celui de Ginko à Bordeaux, et les pistes concrètes pour construire un avenir plus sobre — sans renoncer à la qualité de vie.

Éco Quartier Ginko : Julien Vernes, comment analysez-vous l’évolution actuelle de l’urbanisme dans les grandes villes françaises ?
Julien Vernes : Ce que je constate, c’est une tension permanente entre densification et désir de nature. Les grandes villes sont confrontées à un défi énorme : loger plus de monde, tout en offrant un cadre de vie agréable, et en réduisant drastiquement leur empreinte écologique. On voit émerger de bonnes intentions, des expérimentations intéressantes… mais on reste souvent sur un urbanisme de compromis, pas encore de transformation. L’écologie est encore trop souvent perçue comme une contrainte, alors qu’elle devrait être le point de départ.
Justement, les écoquartiers ont longtemps été présentés comme des vitrines de ce changement. Quel regard portez-vous sur ces projets ?
Les écoquartiers sont essentiels pour tester de nouveaux modèles urbains. À condition qu’ils ne soient pas de simples opérations de communication. Ce que je défends, c’est un écoquartier qui ne se limite pas à cocher des cases techniques – chauffage performant, tri des déchets, espaces verts – mais qui réinvente vraiment notre manière d’habiter. Ce sont des laboratoires à ciel ouvert. Ils doivent être sobres, inclusifs, et surtout, pensés avec leurs habitants.
À Bordeaux, l’écoquartier Ginko fait figure de pionnier. Vous le connaissez ?
Oui, bien sûr. Ginko a été un des premiers écoquartiers d’ampleur dans une métropole française. Il y a eu des paris audacieux, notamment sur la place laissée à la nature, les transports, et la qualité des bâtiments. Mais comme beaucoup de projets pilotes, il a aussi essuyé des critiques. Ce qui m’intéresse, c’est de voir comment ce type de quartier peut évoluer dans le temps. Est-ce que les habitants se l’approprient ? Est-ce que les usages changent ? Est-ce que ça devient un vrai morceau de ville vivant ? C’est là qu’on voit si un écoquartier tient ses promesses.
Si vous aviez carte blanche pour imaginer la ville idéale, à quoi ressemblerait-elle ?
Elle serait à taille humaine. On abandonnerait la logique des grandes infrastructures tentaculaires pour revenir à des unités de vie locales, interconnectées, mais autonomes sur l’énergie, l’eau, la production alimentaire. Ce serait une ville vivante, où l’on marche beaucoup, où la nature n’est pas reléguée à des marges décoratives mais intégrée au cœur même de l’aménagement. Et surtout, une ville faite pour tous — pas seulement pour les classes moyennes ou les CSP+ écolos. La durabilité, pour moi, n’a de sens que si elle est aussi sociale.
Vous parlez souvent de résilience. C’est un mot qu’on entend beaucoup. Que signifie-t-il, selon vous, appliqué à la ville ?
La résilience, ce n’est pas juste la capacité à encaisser les chocs. C’est la capacité à se transformer en profondeur pour mieux faire face à l’avenir. Une ville résiliente, c’est une ville qui peut continuer à fonctionner même si le climat se dérègle, même si les ressources se raréfient, même si les réseaux deviennent instables. Cela veut dire relocaliser, diversifier, créer des liens de solidarité, et surtout réduire notre dépendance aux systèmes complexes et vulnérables.
Vos ouvrages parlent aussi de cette transformation à l’échelle de l’habitat. Parlons de Maison Autonome. Pourquoi avoir écrit ce livre ?
Parce que je voyais de plus en plus de gens chercher des solutions concrètes, sans savoir par où commencer. Maison Autonome, c’est un guide pour reprendre la main sur son habitat, comprendre les flux d’énergie, d’eau, les matériaux… et bâtir une maison qui peut fonctionner, en grande partie, par elle-même. Ce n’est pas de l’utopie, ce sont des solutions qui existent, qui fonctionnent, et qui peuvent s’adapter à plein de contextes, même urbains.
Et dans Tiny House, vous allez encore plus loin dans la sobriété…
Oui, c’est un autre angle. Les Tiny Houses, ce sont des habitats réduits, mobiles ou non, qui questionnent notre rapport à l’espace, à la consommation, au confort. C’est un manifeste autant qu’un mode de vie. Et, quelque part, c’est un terrain d’expérimentation très concret : comment faire mieux avec moins ? Comment retrouver une forme de liberté ? Ça inspire beaucoup de jeunes, mais aussi des retraités, des familles en transition. Ce que j’essaie de transmettre, c’est qu’il n’y a pas une seule bonne façon d’habiter, mais qu’on a tout intérêt à diversifier nos réponses.
Un dernier mot pour les habitants du quartier Ginko et nos lecteurs ?
Continuez à être curieux, à vous questionner, à proposer. Un quartier, ce n’est pas un produit fini, c’est un organisme vivant. Et les habitants en sont le cœur. Ginko est un territoire d’expérimentation : servez-vous-en pour aller encore plus loin, inventer de nouvelles façons de vivre ensemble, d’économiser les ressources, de renforcer les liens. Vous êtes aux avant-postes de ce que pourrait être la ville de demain.
Un grand merci à Julien Vernes pour sa disponibilité et sa vision sans compromis. Une vision qui, loin des discours technos et des effets de mode, remet l’humain, la nature et la simplicité au centre du projet urbain. Une chose est sûre : la ville durable, pour lui, n’est pas un slogan — c’est un combat.
